Forêts, bénéfices environnementaux et compensation carbone

Pratiquement partout sur le globe, les arbres sont en danger. Les forêts sont pourtant vecteurs de nombreux bénéfices environnementaux dont les déviances aujourd’hui sont celles de la compensation carbone.

Diverses actions de reboisement, des plantations d’arbres, d’agroforesterie, de restaurations de haies bocagères se développent, notamment en France. Parmi elles, certains projets stimulent les imaginaires et semblent réellement porteurs pour l’avenir. Mais d’autres ambitions de reforestation sont au contraire qualifiées de treewashing et desservent les intérêts environnementaux qu’elles prétendent pourtant défendre.

Comment faire pour agir en faveur de la préservation des forêts à l’échelle individuelle ?  On peut, s’interroger sur la faisabilité d’une telle entreprise, même si l’envie de faire sa part est bien présente !

Avant tout chose, il est nécessaire de présenter l’état actuel des forêts dans le monde et en France. Nous verrons ensuite pourquoi il est essentiel de conserver et protéger les forêts. Cela nous aidera à comprendre que la reforestation seule n’est pas suffisante pour les sauver.

Dans un prochain article, nous étudierons les actions possibles pour contribuer à la sauvegarde des forêts. Quelles démarches aux bénéfices environnementaux positifs pouvons-nous engager à notre échelle de citoyen.ne ? Des démarches nécessairement liées à la lutte contre le réchauffement climatique et au maintien de la biodiversité. Et ce, sans tomber dans les travers de la « compensation carbone ».

Conserver les forêts et ses bénéfices environnementaux ou les exploiter au nom de la compensation carbone ?

L’état actuel des forêts en France et dans le monde

D’après l’ONU, les forêts occupent 31% des terres émergées réparties inégalement sur la surface du globe.

La moitié de la superficie forestière mondiale est relativement intacte et composée d’environ 1/3 de forêts primaires. Ce sont des forêts naturellement régénérées d’essences indigènes où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible. Les processus écologiques n’y sont donc pas sensiblement perturbés. Enfin, près de 10% des forêts se présentent sous forme de fragments forestiers isolés ou très faiblement reliés entre eux. 

Quant à leurs tailles, les massifs de plus de 1 million d’hectares constituent environ 80% de la superficie forestière mondiale. Les 20% restants se répartissent dans plus de 34 millions de massifs dans le monde. La grande majorité de ces massifs est de taille inférieure ou égale à 1 000 hectares.

Il y a donc encore beaucoup de forêts naturelles auxquelles l’humain n’a pas touché. Et il est indispensable de les préserver.

Déforestation et dégradation des forêts

La déforestation et la dégradation des forêts se poursuivent à un rythme préoccupant. Elles contribuent directement à la perte de biodiversité que nous connaissons.

Depuis 1990, on estime que quelque 420 millions d’hectares de forêts ont disparu par conversion de ces espaces à d’autres utilisations, même si le taux de déforestation montre un ralentissement sur les trois dernières décennies.

Source : Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO)((https://www.fao.org/3/ca8642fr/online/ca8642fr.html#chapter-executive_summary))

Au Brésil, en un an, 13 000 km2 de forêt tropicale ont disparu. Par ailleurs, le nombre de km2 de forêt tropicale détruit chaque année y a pratiquement doublé comparé à 2018. En une seule année, la déforestation en Amazonie a augmenté de 22%.((https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/20/au-bresil-la-deforestation-de-l-amazonie-resultat-de-la-politique-de-jair-bolsonaro_6102924_3244.html#:~:text=Br%C3%A9sil-,Au%20Br%C3%A9sil%2C%20la%20d%C3%A9forestation%20de%20l’Amazonie%2C%20r%C3%A9sultat%20de,mati%C3%A8re%20environnementale%20parle%20contre%20lui))

Et désormais, la mortalité climatique (mortalité due aux conséquences du changement climatique) des arbres menace toutes les forêts d’Europe.((https://www.courrierinternational.com/article/secheresse-la-mortalite-climatique-des-arbres-menace-toutes-les-forets-deurope))

Raser les forêts, à quel prix et pour quelles bénéfices ?

Et qu’en est-il des forêts en France ?

D’après l’Institut national de l’information Géographique et Forestière (IGN), en France métropolitaine, la forêt couvre actuellement 16,9 millions d’hectares soit 31 % du territoire. C’est l’occupation du sol la plus importante après l’agriculture, qui elle, couvre plus de la moitié de la France métropolitaine.

La superficie forestière s’accroît fortement depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. Elle constituait entre 8,9 et 9,5 millions d’hectares en 1830 (Cinotti, 1996). Et elle couvrait 14,1 millions d’hectares en 1985. En 2020, elle s’étend sur 17 millions d’hectares. La surface forestière a donc progressé d’environ 80 000 hectares en moyenne par an depuis une trentaine d’années.((https://inventaire-forestier.ign.fr/spip.php?rubrique11))

Cependant, on parle ici surtout de forêts exploitées et non naturelles. Les forêts primaires, qui occupaient plus de 90% du territoire français après la dernière glaciation, n’ont cessé de régresser. Et cette régression est bien évidemment du fait de la pression de l’homme.

Seulement 1 à 3% des forêts d’Europe de l’Ouest et moins de 1% en France ont été épargnées. Et ces forêts primaires ne sont pas encore totalement protégées.

En France, moins de 20 000 hectares de forêts à caractère naturel sont soumis à des mesures de protections satisfaisantes. Ces forêts protégés existent surtout au sein du réseau des réserves naturelles et des réserves biologiques intégrales.((http://www.espaces-naturels.info/forets-caractere-naturel))

Forêts et reforestation industrielle

Nous rencontrons actuellement un problème de “mal-forestation” et on assiste à une véritable l’industrialisation de la forêt française. Et ce y compris sur les 25% de forêts publiques gérées par l’ONF.

Aujourd’hui, dans les forêts industrielles françaises, on plante massivement des arbres à croissance rapides (des résineux). L’objectif est qu’ils soient exploités le plus rapidement possible pour générer un maximum de profit. Ainsi, la majorité des forêts françaises ne sont maintenant constituées que d’une seule essence et ont moins de 100 ans.

Qui plus est, 95% des plantations qui sont faîtes aujourd’hui sont liées à l’industrie de la forêt. Parallèlement, des forêts anciennes sont converties en monoculture qui seront ensuite rasées pour replanter à nouveau… en monoculture.

Le reboisement auquel on assiste actuellement censé « compenser le CO2 » est en réalité une véritable catastrophe pour les populations, la biodiversité et pour le climat comme en témoignent cet article ou cette vidéo.

« Les forêts françaises sont aujourd’hui à la croisée des chemins, comme l’a été l’agriculture dans les années 1950/1960. En effet, depuis le Grenelle de l’environnement en 2007, les appels à mobiliser davantage de bois se multiplient. Ainsi, les forêts sont de plus en plus considérées comme la solution pour remplacer progressivement notre dépendance aux énergies fossiles. Dans ce contexte, en France, comme dans de nombreux pays européens, les projets industriels de valorisation énergétique du bois se multiplient. Les centrales à charbon sont par exemple reconverties en centrales à biomasse. Des arbres entiers sont transformés en granulés alors qu’ils pourraient être utilisés pour la construction durable et contribuer au stockage du carbone. La quasi-indifférence dans laquelle se développent ces projets est symptomatique de l’absence de débat critique en France sur la gestion forestière. L’urgence d’agir face aux changements climatiques devient un alibi pour promouvoir une intensification de la gestion forestière. Ainsi la Stratégie Nationale Bas Carbone prévoit une augmentation importante de la récolte et une baisse de la capacité naturelle des forêts à stocker du carbone. Une stratégie à contre-sens des recommandations du GIEC, qui alerte sur le risque de franchir des seuils d’emballement climatique dans les prochaines années. Cette note constitue la synthèse d’un rapport qui explore de manière méthodique une autre voie : laisser 25% de la surface de forêt en libre-évolution, allonger la durée de révolution dans les forêts gérées et pratiquer une sylviculture à couvert continu, pour se rapprocher de l’optimum de stockage de carbone dans les écosystèmes. Elle présente le double avantage de maximiser l’absorption de dioxyde de carbone dans les prochaines décennies et d’augmenter significativement la naturalité et la biodiversité des forêts. »

Laisser vieillir les arbres : stratégie efficace pour le climat de Canopée-FERN et Les amis de la Terre

Plutôt que de reboiser, il s’agit donc surtout de maintenir, protéger et laisser vieillir les forêts déjà existantes.

Forêts, bénéfices environnementaux et climatiques

Forêts et puis de carbone

Les forêts sont des puits de carbone. Par le processus de photosynthèse, les arbres absorbent le CO2 de l’air et fixent le carbone dans leur biomasse. On estime qu’un hectare de forêt peut absorber entre 6 et 16 tonnes de CO2 par an. La capacité à absorber du CO2 varie en fonction des essences, du climat, des sols… C’est ce qu’on appelle la séquestration du carbone. Pour un ordre de grandeur, un français émet en moyenne 10 tonnes de CO2 par an.

On aurait tendance à croire que les forêts anciennes sont moins efficaces pour séquestrer le carbone qu’une forêt plus jeune. Peut-être même particulièrement si elle est entretenue et exploitée par l’homme. Or, plusieurs études scientifiques ont montré que même très anciennes, les forêts fixent continuellement le CO2  (Luyssaert et al. 2008 ; Stephenson et al. 2014). En effet, “les vieux arbres et les vieux peuplements forestiers peuvent donc stocker plus de carbone que les jeunes peuplements, et cela pendant des centaines d’années.”1

Reboiser, la solution pour sauver le climat ?

Face au constat du réchauffement climatique, le reboisement apparaît comme une solution naturelle à la séquestration du CO2. Mais seulement si certains paramètres tels que la situation géographique, la nature des sols, ou encore le relief sont bien étudiés.((https://www.terre-du-futur.fr/importance-de-la-foret-pour-le-climat/))

« Le reboisement et le boisement sont considérés comme des options d’atténuation du changement climatique relativement rentables ».((https://eco-act.com/fr/changement-climatique/rapport-giec-ipbes-biodiversite/)) Toutefois, des forêts mal gérées plantées comme sources de bioénergie peuvent avoir des effets néfastes sur le stockage du carbone, le bilan hydrique, la biodiversité et la sécurité alimentaire des écosystèmes existants. Les normes internationales sont donc essentielles pour gérer des projets de boisement et de reboisement qui soient efficaces.

Les bénéfices environnementaux des forêts

D’après le rapport de référence sur les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France, dans la partie qui concerne l’Utilisation des Terres, Changement d’Affectation des Terres et Forêt (UTCATF) nous pouvons voir que ce secteur constitue, pour l’instant, le seul qui permette des absorptions de CO2 grâce à la photosynthèse des plantes.

« Le carbone absorbé est provisoirement retranché de l’atmosphère en étant stocké dans la biomasse et les sols. En France, aujourd’hui, les absorptions (croissance de la biomasse forestière, boisement…) sont plus importantes que les émissions de ce secteur (mortalité des arbres, déboisement, feux de forêt et de végétation, artificialisation des sols…). Ce secteur est donc un puits de carbone dont le bilan total présente davantage d’absorptions de CO2 que d’émissions. Par ailleurs, « c’est principalement la croissance des arbres sur pied (plus que l’expansion de la surface forestière) qui explique ce niveau de puits de carbone important. »((https://www.citepa.org/wp-content/uploads/publications/secten/Citepa_Rapport-Secten_ed2021_v1_30072021.pdf))

Forêts et compensation carbone, de vrais bénéfices environnementaux ?

Nous venons de voir combien les forêts permettent d’absorber des millions de tonnes de carbone rejetées annuellement par les activités humaines.

Planter des arbres pour compenser nos modes de vie ou réduire nos émissions ?

Mais en fait, il s’agit SURTOUT de maintenir et de protéger les arbres qui poussent déjà. ET parallèlement, de réduire significativement nos émissions de GES.

La question de la protection doit être au premier plan. Celle de la restauration doit exister mais sans être un prétexte pour ne pas faire évoluer nos modes de vie. Selon un rapport collaboratif entre du GIEC et de l’IPBES, “la protection et la restauration des écosystèmes riches en carbone constituent la priorité absolue dans une perspective conjointe d’atténuation du changement climatique et de protection de la biodiversité”.((https://eco-act.com/fr/changement-climatique/rapport-giec-ipbes-biodiversite/))

En effet, planter massivement des arbres en monoculture, comme le proposent des projets “solutionnistes” mis en avant par des entreprises polluantes qui se vantent de « compenser » leurs émissions carbone, n’est pas une solution ! C’est tout bonnement ce que l’on appelle du treewashing. Pour en savoir plus sur la « compensation carbone », le « marché carbone » et le “treewashing”, n’hésitez pas à aller lire cet excellent article sur le site de Bon Pote ou à regarder cette vidéo (en basse qualité 😉).

Aussi, avec le recul et des retours d’expériences, on constate que cette pratique peut avoir une autre limite. En effet, le réchauffement climatique entraîne des périodes de canicules, qui favorisent les incendies. Des phénomènes que nous avons pu observer sous forme de méga feux comme en Australie (2019) ou en Californie (2021). Certaines grosses entreprises ont ainsi vu des forêts plantées pour compenser leurs émissions de CO2 partir en fumée…

Lors de l’été 2022, en France, plus de 60 000 hectares ont disparus lors des incendies. La Gironde et le Midi ont été particulièrement touchés. Ce sont au total 22 départements qui ont été impactés y compris certains qui sont habituellement épargnées (Bretagne, Vosges, Jura).((https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/08/22/incendies-six-cartes-et-graphiques-qui-montrent-un-premier-bilan-inedit-de-l-ete_6138700_4355770.html))

Compensation carbone, les limites

En tant que citoyen.ne, il faut se montrer très vigilant.e face aux annonces parfois spectaculaires mais surtout publicitaires qui se vantent d’atteindre la “neutralité carbone”. De la même façon, il convient de bien se renseigner avant de financer / parrainer une plantation d’arbres à l’autre bout de la planète. L’écueil serait finalement de se retrouver à soutenir indirectement un projet de  treewashing mettant à mal les populations et la biodiversité locales. Pour planter vite et massivement, il faut beaucoup de terres ! Certains projets de compensation carbone s’accaparent des terres agricoles fertiles et chassent les familles qui en dépendent. De nombreux problèmes d’atteinte à la sécurité alimentaire et de justice sociale se posent alors. Il est évident que de tels projets existent pour donner une belle image à des entreprises qui profitent aux pays développés comme la France.

Faire pousser des arbres, ça ne s’invente pas ! Cela prend du temps. D’autant plus qu’un arbre doit avoir atteint sa taille adulte (entre 40 et 100 ans selon les essences) pour être en capacité de stockage maximal de CO2. Quand toutes les conditions ne sont pas réunies, il arrive que les jeunes plants meurent avant d’atteindre l’âge adulte. Les conséquences sur le bilan carbone ne sont alors pas nécessairement positives…

Mais au-delà des limites quelques perspectives…

Plusieurs projets ont malheureusement fait les frais de cette volonté de planter rapidement des arbres. Et cela y compris parmi ceux qui défendent des valeurs éthiques et qui s’imposent désormais comme des modèles. Ainsi, une grande partie des premières plantations du superbe « Instituto Terra » au Brésil a été décimée, malgré toute l’attention qui leur a été portée.((https://www.telerama.fr/monde/chez-les-salgado-au-bresil-objectif-foret,117763.php)) Les jeunes plans ont été victimes d’un manque d’expérience combiné à une terre déjà trop appauvrie par les conséquences de la déforestation (érosion, désertification…).

Mais, les Salgado se sont accrochés, ils ont appris de leurs erreurs et de la nature. Aujourd’hui, se sont plus de 2,7 millions d’arbres qui ont été replantés. « Deux cent quatre-vingt-dix-sept espèces se réinstallent au fur et à mesure que la forêt mûrit, que la chimie du sol se transforme. Les animaux ­reviennent – les jaguars, les papillons, les caïmans, plus de cent soixante-dix espèces d’oiseaux, et, derniers arrivés, les singes… » Comme quoi, sous certaines conditions, c’est possible…

Pour de vrais bénéfices environnementaux, défendre les forêts avant de passer par la compensation carbone

Dans cet article nous avons compris que les forêts possèdent de réels bénéfices environnementaux notamment via leur capacité à séquestrer le carbone. Pour autant, ce stockage n’est efficace qu’à la condition que les forêts concernées soient naturelles et composées d’essences variés, d’âges différents. Il convient donc de protéger et sauvegarder les forêts existantes. Quelles solutions s’offrent à nous pour agir en faveur de la protection des forêts ? Dans un prochain article nous envisagerons des solutions citoyennes plus ou moins directes pour défendre les forêts existantes et encourager de sérieux projets de reforestation.

Si cet article vous a plus, n’oubliez pas de le partager autour de vous. Si agir au nom de la protection des forêts vous semble éloigné de votre quotidien, n’oubliez pas qu’il existe plein d’autres actions possibles pour faire sa part !

  1. https://totholz.wsl.ch/fr/fonctions-du-bois-mort/cycle-du-carbone.html []

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4 thoughts on “Forêts, bénéfices environnementaux et compensation carbone

  1. Article très intéressant. En Ecosse ils ont un autre système pour protéger leurs écosystèmes : des milliers de personnes sont propriétaires de toutes petites parcelles de land. Ainsi, pour déforester, il faudrait racheter les parts de ces milliers de personnes, qui doivent toutes être d’accord pour vendre.

    1. Merci pour ce retour Alexandre ! Content que l’article t’ait plu !
      Belle initiative en Écosse en effet. Comme quoi on peut parfois faire confiance aux citoyens quand il s’agit de protéger la planète… !

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